Laïcité et droits de l’homme dans la pensée politique arabe contemporaine

Thèse de Chérif FERJANI, soutenue en octobre 1989 à l’Université de Lyon II – Institut d’Etudes Politiques, sous la direction de Luc FERRY

Le point de départ de cette recherche est l’inquiétude face aux menaces que le développement des courants islamistes fait peser sur le sort des acquis laïques et sur les droits de l’homme dans les sociétés à dominante arabo-musulmane.
Pour éviter les pièges des discours identitaires xénophobes au nom d’un « Islam bafoué » par la modernité occidentale et au nom « d’un Occident moderne menacé » par la « déferlante islamique », ce travail a situé le développement des courants Islamistes dans le cadre du phénomène international du retour du «religieux» – ou de l’ancien-qui se présente comme une alternative à la crise de la modernité dans ses versions socialistes, libérales et tiers-mondistes.
L’analyse comparative des divers discours identitaires et les différentes contestations de la modernité dans le Sud comme le Nord, à l’Est comme à l’Ouest, a permis de voir que l’intégrisme – qui n’est que l’une l’une des formes les plus agressives du retour de l’ancien – n’est pas un phénomène propre à l’Islam et aux sociétés à dominante musulmane.
Pourtant, l’opposition entre l’Islam – assimilé abusivement à l’intégrisme et au traditionalisme – et l’Occident – assimilé aussi abusivement à la modernité – a été dépassée pour situer les déchirements de la pensée politique arabe face à la déferlante islamiste dans le cadre du débat universel entre les Anciens et les Modernes.
L’idée fondamentale de cette première partie consiste à montrer que le projet islamiste est animé par la même logique, la même illusion commune à toutes les critiques anti-modernes de la modernité : celle de considérer que l’avenir est derrière nous, dans un âge d’or, celui de la « parole aurorale », par rapport auquel le présent n’est que déclin et décadence.
Dénonçant cette illusion, l’analyse aboutit à la nécessité d’une «critique moderne de la modernité» fondée sur la conciliation de principes constitutifs de celles-ci : la liberté et l’égalité dont les droits de l’homme et la laïcité représentent la substance essentielle.
A la lumière de cette clarification des liens consubstantiels entre la modernité, la laïcité et les droits de l’homme, la deuxième partie s’est attachée à voir pourquoi le débat entre les Anciens et les Modernes au sein de la pensée politique arabe contemporaine n’a pas pu aboutir à un projet moderniste, cohérent, fondé sur une prise en compte conséquente des droits de l’homme et de la laïcité. La réponse à cette question conjugue l’analyse de la structure interne des composantes de cette pensée « écartelée entre jadis et ailleurs» et celle des conditions de la genèse et de son évolution depuis le XVIIIe siècle jusqu’à nos jours.
Les inconséquences des « modernistes » arabes et l’hostilité islamiste – et des traditionalistes – sont analysées dans les troisième et quatrième parties à la lumière des différentes approches théoriques et pratiques de la question des droits de l’homme et de la laïcité par les divers courants de la pensée politique arabe contemporaine. L’arrogance des discours islamistes est mis en rapport avec les hésitations, le déchirement et le caractère timoré de ses adversaires modernistes qui ont peur d’assumer une rupture conséquente avec les conceptions archaïques fondée sur la surdétermination du socio politique ou le religieux.
Cette analyse et appuyée par les réfutations des thèses selon lesquelles l’hostilité des uns et les inconséquences des autres sont déterminées par la nature spécifique de l’Islam qui serait particulièrement antinomique avec l’idée d’un droit positif et d’une société fondée sur le principe laïque. Elle démontre qu’il est possible d’avoir une lecture moderne de l’Islam (à l’instar de celles qui ont permis au christianisme d’accepter – tant bien que mal – l’émancipation du socio-politique par rapport à son hégémonie). La déconstruction des mécanismes historiques, socio-politiques et idéologiques qui ont conduit à l’avènement de la chari’a islamique (invoquée contre l’adoption des droits de l’homme) et de l’institution califale – ou d’imamat – (invoquée contre le principe laïque) aboutit à la démystification de la supercherie par laquelle on en est venu à la surdétermination du temporel par le spirituel et du politique par le religieux.
En montrant que les obstacles à la laïcité et aux droits de l’homme dans les sociétés à dominante arabo-musulmane sont essentiellement de même nature que ceux qu’on a rencontrés et qu’on rencontre dans d’autres aires géoculturelles, cette thèse conclut à l’universalité des principes constitutifs de la modernité en dehors de laquelle les droits de l’homme – dans leur dimension laïque – sont inconcevables. C’est dans la conciliation de ces principes qu’elle voit une issue à la crise de la modernité autre que celle dont rêvent tous les nostalgiques de l’ordre ancien fondé sur l’inégalité et sur la primauté de la loi par rapport à la liberté.

Chérif FERJANI

Chérif Ferjani, “Laïcité et droits de l’homme dans la pensée politique arabe contemporaine”, Correspondances n°19, Centre de Documentation Tunisie-Maghreb, mai 1990

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