Bicentenaire de la Révolution française
LA REVOLUTION ET L’ESCLAVAGE AUX COLONIES
Extrême paradoxe, l’esclavage ne fut aboli dans les colonies que le 4 février 1794, 6 ans après la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Au premier abord, ce seul fait est révélateur de l’ambiguïté de la Révolution vis à vis des colonies. Disons, pour énoncer ce qui peut légitimement apparaître comme une contradiction entre idéologie et politique, que cela témoigne d’une part, du caractère métropolitain de la révolution, de ses enjeux, de ses acteurs, d’autre part de l’indifférence d’un peuple ou du moins de son ignorance à l’égard des colonies. Il est vrai qu’il fallait 4 jours pour aller de Paris à Marseille, plusieurs semaines de Saint Malo au Québec ou aux Antilles, plusieurs mois de Bordeaux à l’île Bourbon, l’actuelle lie de la Réunion. On ne fut au courant du “14 juillet” aux Antilles qu’à la mi-septembre. Pourtant malgré les apparences, la politique coloniale et singulièrement l’abolition de l’esclavage furent parmi les enjeux de la période révolutionnaire. Plus même, c’est de la crédibilité idéologique du souffle révolutionnaire et de la place de la France dans le monde qu’il fut question.
Idéologiquement et dans le droit fil des idéaux des Lumières, la vision que pouvaient avoir les révolutionnaires des colonies était négative, hostile. Comment accepter et même cautionner l’esclavage, pratique abolie en France au Moyen Age mais maintenue outre mer car consubstantielle aux économies locales.
Rousseau, Voltaire, Montesquieu à leur manière avaient su condamner l’esclavage et se monter attentifs à l’existence de civilisations non chrétiennes, musulmanes ou païennes. Influencés par les “philosophes”, nombre de nobles éclairés et de bourgeois firent leurs, les thèses abolitionnistes.
En avril 1788 fut créée la Société des Amis des Noirs. Parmi ses fondateurs, figurent Condorcet, Brissot et Sieyes,
illustres personnages s’il en est. Il furent peu à peu rejoints par La Fayette, Lepelletier de Saint Fargeau, Mirabeau, Necker, Robespierre et l’Abbé Grégoire. Ces hommes, aussi brillants et influents furent-ils, ne purent guère peser sur les événements dans les premiers mois. L’ampleur de la tâche, l’immensité des enjeux métropolitains leur furent préjudiciables et occultèrent leur cause. Pourtant malgré un certain désintérêt ambiant, ils trouvèrent vite en face d’eux une opposition résolue, formée de négociants rouennais ou bordelais et des représentants coloniaux eux-mêmes.
A la fin du mois de juin 1789, ceux-ci créèrent, sous le nom de Société de correspondance des colons français, une
association destinée à défendre leurs intérêts auprès de la classe politique et au sein de l’Assemblée. Ce groupe prit vite le nom de Club Massiac du nom d’un Marquis, membre influent de la Société et qui l’abritait.
La première mesure progressiste ne put être adoptée que le 28 mars 1792, les droits civiques furent étendus aux mulâtres et gens de couleur libres. Le 27 juillet 1793, l’Abbé Grégoire se distinguait par une intervention retentissante contre la traite négrière qu’il qualifia de “trafic qui déshonore l’espèce humaine”. Le 3 février 1794, emportée par l’enthousiasme suscité par la venue de trois députés de Saint Domingue, où des mesures d’affranchissement avaient été prises par l’administration de cette colonie, l’assemblée vota l’affranchissement immédiat en ces termes : “La Convention nationale déclare aboli l’esclavage des nègres dans toutes
les colonies. En conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution”.
Il serait naïf de croire que seul l’esprit révolutionnaire permit d’arriver à cette abolition, elle fut aussi et peut-être surtout, conquise au prix du sang, celui des esclaves révoltés de Saint Domingue. En 1794, un esclave, le futur Toussaint Louverture venu de la partie espagnole de l’île, se rallia à l’un des officiers envoyés par la Convention pour contrôler, au nom de la République, une situation qui mettait aux prises de façon violente et déterminée, colons conservateurs et esclaves révoltés. Sa présence ainsi que celle de ses hommes permit à la France Révolutionnaire de faire face aux ingérences espagnoles et surtout britanniques qui étaient peu à peu apparues. Les colonies devinrent dès lors un enjeu stratégique, enjeu dont la gestion échut à un certain Napoléon Bonaparte.
Benoît FRICAUD
LA REVOLUTION, SES IDEOLOGIES ET SES IDEAUX
* MAZAURIC (Claude). – Jacobinisme et Révolution. – Paris : Messidor, Ed. Sociales, 1984.
* DAVID (Marcel). – Fraternité et Révolution Française. – Paris : Aubier, 1987. – (Collection historique).
* FORREST (Alan). – La Révolution Française et les pauvres. – Paris Perrin, 1981.
* CARLSON (Marvin). – Le Théâtre de la Révolution Française. – Paris : N.R.F., Gallimard, 1966. – (Bibliothèque des idées).
* DE CERTEAU (Michel), JULIA (D.) REVEL (J.) Une politique de la langue; la Révolution Française et les patois – Paris : N.R.F., Gallimard, 1975. – (Bibliothèque des idées).
*QUINET (Edgar).-Le Christianisme et la Révolution Française. – Paris : Fayard, 1984. – (Corpus des œuvres de philosophie en langue française)
Initialement paru dans Correspondances n°5, Centre de Documentation Tunisie-Maghreb, mars 1989
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
IRMC (7 décembre 1989). Bicentenaire de la Révolution française. Le carnet de l'IRMC. Consulté le 21 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/qi6n
