CONFERENCE DE LUC BARBULESCO : LES REFERENCES RELIGIEUSES DE CERTAINES POLITIQUES ECONOMIQUES (EGYPTE-TUNISIE) OU SIDI MARZOUK AGIT-IL EN BANQUIER ?

On peut certes faire remonter l’intérêt que suscite cette question aux années 1930-1940, mais il est nécessaire toutefois de constater que ce défi que pose l’Islam à l’économie, et la nature de ce défi, n’ont pris une résonnance particulière que depuis une quinzaine d’années.
Il ne s’agit pas de reprendre l’abondante littérature qui existe sur le sujet mais de suivre une démarche plus modeste, inductive et concrète de description des pratiques qui se réclament de l’Islam. Il faut d’abord poser le problème par une négation et tenter de comprendre ce que “l’économie islamique” n’est pas.
Elle ne se confond pas à l’expérience égyptienne et l’on peut, à cet égard, se demander si les “Sociétés de placements” qui se définissaient comme islamiques l’étaient vraiment.
Les succès rapides qu’elles ont connus à leur début ont bénéficié de la politique d’infitah menée à partir de 1974 pour suivre une croissance rapide dans les années 1980, avant d’entrer dans une crise sévère au cours de ces dernières années.
Le succès indéniable que ces sociétés ont connu tenait à leur philosophie, à leur approche mystique de la création des richesses qui se manifestaient concrètement par un élan productivité, à l’instar de l’image que montrait d’elle-même, parle biais d’inserts publicitaires, la société des frères Al-Rayan, exemple représentatif de ce type d’entreprises.
Leurs principes sont simples :
* Les fonds ne doivent pas être cautionnés par un taux d’intérêt.
* Ils doivent être utilisés de façon productive.
* Les sociétés n’ont aucune valeur juridique mais sont la simple union d’une multitude de contrats individuels, sortes de procurations qui permettent aux personnes qui se réclament des dites sociétés, de gérer les comptes d’autrui.
Ce système s’est développé en Egypte avec la bienveillance de l’Etat dans un premier temps, puis, en 1988, a été durement touché par la promulgation d’une loi cherchant à faire de ces entreprises des sociétés par action avec un statut juridique.
Ce mauvais tour joue par l’Etat aux sociétés de placement se voyait, dans une conjoncture de lourd endettement extérieur, motivé par l’urgence de stopper l’hémorragie financière qui détournait l’épargne des travailleurs migrants des circuits officiels pour se réfugier dans les comptes de ces sociétés parallèles, informelles; certaines estimations portent à près de 12 milliards de livres égyptiennes, soit l’équivalent du budget de l’Etat, la somme collectée en l’espace de quelques années par les “Sociétés de placement” .
Ce détournement de l’épargne, qui fuyait même les banques islamiques “officielles”, légales, est en fait le reflet d’une méfiance fondamentale de l’homme de la rue à l’égard du système bancaire national dans son ensemble.
Il était d’autant amplifié que, le système parallèle offrait des taux de profit fluctuant entre 25% et 40% quand les taux des banques officielles ne dépassaient guère les 11 %.
De nombreux facteurs pouvaient expliquer cet écart des taux et l’on ne manque pas de relever l’existence de certaines pratiques de spéculation et une tendance à
l’usage du principe de “cavalerie” pour garantir aux épargnants un revenu substantiel. Le système fonctionnait donc
au prix d’une fuite en avant et s’est effondré avec l’arrêt du mouvement.
Il est étonnant par ailleurs, que peu de voix se soient élevées pour critiquer ces sociétés qui usurpaient le terme “d’islamiques”, car en proposant à ses clients une rente fixée à l’avance, garantie et non une rétribution d’un risque, elles contrevenaient au principe islamique d’interdiction de l’usure, la “ribâ“.Cette expérience ratée remet-elle en cause pour autant, l’Islam et ses liens avec certaines pratiques économiques ?
Assurément non, Sidi Marzouk, comme Tartuffe, pratiquent les affaires de manière très libre et parfois franchement malhonnête ; ils sont châtiés à la fin ; il convient de faire la part du feu, et reconsidérer les liens entre Islam et Economie. Après tout, d’anciennes “fatwa” – pensons, par exemple, à celle de Muhammad Abdu – ou d’autres plus récentes, rendent licite, dans certaines conditions, la rémunération du capital.
Non seulement aucune institution islamique officielle n’avait apporté sa caution aux “Sharikat tawzif al-amwâl” mais elles faisaient valoir, de manière implicite, que l’idée de l’Islam en économie se trouvait représentée et concrétisée, de façon sérieuse, par des établissements qui ont en commun de s’appeler “banques” et d’avoir une vertu en plus ; ces banques sont “islamiques” et répudient, par principe, l’intérêt bancaire et suivent donc d’autres voies pour rémunérer les capitaux qui leur sont confiés. Elles prennent des participations dans des sociétés productives (industrielles, agricoles, commerciales) et consacrent une part des bénéfices à la rémunération de leurs déposants, considérés comme des actionnaires. Cette pratique nécessite une parfaite transparence (publication de bilans annuels) et a l’avantage d’indiquer a posteriori le taux de profit réalisé, considéré comme la rémunération d’un risque encouru dans la sphère productive, et pouvant naturellement être supérieur, inférieur ou égal aux taux d’intérêts bancaires.
Le risque inhérent au système, appelé Profit and Loss Sharing system (P.L.S.) au Pakistan, seul pays à l’avoir imposé de façon volontariste, ou “moucharaka” dans les pays arabes, fait ressembler à s’y méprendre, cette voie islamique participative à certaines formes modernes du capitalisme occidental.
Cette parenté entre l’Islam et le capitalisme libéral est soulignée par le banquier et entrepreneur pakistanais Qoraîshi : “Si le Pakistan est capitaliste et l’Inde socialiste ce n’est pas du fait de l’influence américaine, mais une conséquence de l’Islam”.
Il apparaît bien, à l’issue de ce bref examen des quelques pratiques qui se réclament de l’islam que, dans certains cas, des institutions financières fonctionnant selon le principe d’un Islam réformé peuvent contribuer à la recherche d’éléments de solution au sous-développement ; A ce titre, les expériences méritent d’être observées avec objectivité.

Résumé de la Conférence fait par Anthony FINAN, CDTM 17 Février 1989

Initialement paru dans Correspondances n°5, Centre de Documentation Tunisie-Maghreb, mars 1989

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